Nous sommes tous habitués à être qualifiés de « grands enfants » avec nos « jouets » sophistiqués, mais je ne pouvais pas imaginer jusqu’à ces derniers jours que d’autres grands enfants qui ont vécu à la fin du XIXe siècle, ces dignes messieurs que l’on voit sur les photos de l’époque en redingote et haut de forme, nous avaient précédés.
UN PEU D’HISTOIRE
Il y a quelque temps, on m’a demandé si je voulais prendre la présidence du MYCP (Modèle Yacht-Club de Paris). Le nom seul, déjà, séduit et excite l’imagination. Il fait référence à ces temps anciens où la navigation de plaisance était faite de bois, de cuivre et de toile… J’ai accepté, et une fois les formalités d’usage effectuées, l’ancien président m’a confié un registre dans lequel est consigné l’historique de ce club.
Première surprise : tout y est inscrit à l’encre et à la plume Sergent-Major.
Deuxième surprise, la date officielle d’enregistrement du Modèle Yacht-Club de Paris : 1912. Mais cela ne s’arrête pas là : il est signifié dans le registre que l’un des membres fondateurs, parmi ceux qui sont décédés, a été « tué à l’ennemi ». Si l’on remonte le temps, l’un des conflits qui précède cette date est le conflit franco prussien de 1870. Donc, on peut supposer que le club a été créé vers le milieu ou la fin du XIXe siècle, quand les nations se passionnaient pour la coupe de l’America, symbole de la supériorité technologique pour la nation gagnante. Les citadins, en créant des clubs de modèles réduits de voiliers qui reprenaient les lignes tendues et les élancements arrières des navires grandeurs de cette épreuve, pouvaient avec ceux-ci connaître les mêmes sensations. Cela fait donc probablement de ce club le plus ancien club de modélisme naval de France, et peut-être aussi d’Europe !
L’état d’esprit de l’époque est bien présent dans ce registre, car, dans le troisième article, il est précisé : « Les nationaux des pays ayant été en guerre avec la France dans le dernier conflit européen ne peuvent faire partie de la société. Ils sont exclus des courses données par la société. Il est interdit à tout membre du MYCP sous peine de radiation de la société de prendre part à des régates où figurerait un seul des nationaux ennemis précédemment cités… ». Le nationalisme coulait de source en ce temps-là !
Autre singularité : un des membres fondateurs était le Marquis de la Jaille. Pas étonnant, quand on sait que la navigation de plaisance de l’époque était avant tout affaire d’argent, et aussi de classe sociale. Il suffit de voir sur les photos l’élégance des officiels qui remettaient les trophées aux vainqueurs. C’était le temps où le Président de la République, Raymond Poincaré, qui avait un certain attrait pour les choses de la navigation, remettait en 1913 aux modélistes de l’époque la Coupe des Régates Internationales des Trois Nations d’Enghien les Bains. Les clubs de modèles réduits appartenaient à ce monde.
Quel héritage !
LES STATUTS
L’article premier des statuts dit que la Société a pour but « d’encourager et de développer le goût de la construction et de la manœuvre des yachts modèles ». On peut imaginer que ce club ne pratiquait que la voile, car les machines à vapeur de l’époque avaient en grandeur un rendement peu important, alors pensez en modèle réduit. Cette supposition est confirmée par tous les articles du règlement qui définissent l’organisation de régates. La radiocommande étant loin d’exister, à l’époque ils devaient pratiquer la voile libre.
Les cotisations des membres actifs titulaires étaient fixées à 10 francs de l’époque, et celle des membres actifs stagiaires (mineurs) à 3 francs.
Des commissions de régates étaient créées pour faire appliquer les règlements élaborés par le conseil d’administration. Les membres de ces commissions étaient élus pour un an par l’assemblée générale.
Trois séries étaient admises en régate : les séries de 0,80 m et 1 mètre jauge internationale, la série des modèles de pêche, et la série nationale des 6,50 m réduite au 1/10e.
Ce club était placé sous le patronage du Yacht-Club de France car de 1912, (et peut-être avant, n’ayant aucune archive) à 1928, la même personne, M. Marcel Bar, a été le président des deux clubs.
Les personnes résidant en dehors de la région de Paris ou les architectes navals professionnels pouvaient être nommés par le conseil d’administration « membres correspondants ».
Parmi les membres du Conseil d’administration, on a compté des industriels, des architectes navals, des cadres, et peut-être la première femme modéliste, Suzanne Terre, inscrite en 1951.
Avec le temps, le Modèle Yacht-Club de Paris s’est ouvert à toutes les disciplines du Modélisme Naval.
LES BASSINS DU MYCP DE L’ÉPOQUE
Le bassin qui s’imposa dès le début était celui des Tuileries pour sa situation stratégique : la fréquentation du public était assurée. Les voiliers avec leurs gréements auriques ne dépareillaient pas dans le cadre majestueux du Palais du Louvre.
Dès le début des années cinquante, le club obtint un accord officiel pour naviguer à la fois sur le bassin des Tuileries, sur le Lac Saint James au Bois de Boulogne, et sur le canal du parc de Sceaux dans les Hauts de Seine, le bassin des Tuileries devenant trop petit pour l’organisation de compétitions de bateaux à vapeur, électriques ou à voiles. Il ne fut plus utilisé que pour les concours de renommée. Imaginez que, à cette époque, bien que la vitesse limite autorisée était de 30 km/h, les évolutions des bateaux thermiques étaient autorisées sans restrictions …
Toutefois, régulièrement, le MYCP organisait des rencontres sur d’autres plans d’eau, à son initiative ou sur la demande d’une municipalité comme celle de Conflans Ste Honorine, où les membres du club ont créé une zone pour le stockage des bateaux.
Jusqu’à l’arrivée de la radiocommande, le but était de rallier le plus rapidement possible la rive opposée à celle du départ. D’autres épreuves étaient aussi organisées : on récompensait la stabilité de la route suivie par le voilier, ou la justesse du cap en installant des cibles face aux bateaux et ceux-ci devaient les toucher, pour les voiliers, avec le bout-dehors. C’était une époque faste, les rencontres pouvaient être organisées par des revues, dont MRB, par les magasins de modélisme et même par le Ministère de la Marine.
Il n’était pas rare de voir des jeunes femmes participer à des régates. L’une d’elles, en 1946, Mademoiselle Arlette Camus, a remporté la coupe du Paris Presse Junior dans la catégorie des 75 cm, coupe qui se déroula sur le bassin des Tuileries. Elle deviendra Mme Paudeau, l’épouse du célèbre concepteur des voiliers du bassin du Luxembourg.
QUELQUES ÉLÉMENTS NOTABLES
En 1945, le MYCP organisa la « Coupe des Canards » avec des sharpies spéciaux. Le premier prix était un canard vivant. Prix très apprécié en ces temps de rationnement.
Parmi les trophées remis aux concurrents, il y avait des moteurs thermiques, des voiliers à construire, et de nombreux ouvrages dont certains de Gems Suzor qui a été président du MYCP de 1944 à 1968, preuve d’une grande stabilité, car à cette époque, le bureau était renouvelé tous les ans.
Gems Suzor a été un grand propagateur de l’esprit « modélisme ». Il a publié des ouvrages sur la motorisation, et a aussi écrit de nombreux articles dans MRB sur les machines à vapeur. En constructeur infatigable, il nous a également transmis de nombreux plans de moteurs.
Un autre membre du bureau, Adrien Sentz, a lui aussi écrit des articles pour MRB.
MRB et le MYCP c’est une longue histoire de collaboration !
Le MYCP fait aussi partie des clubs fondateurs de la FFMN.
Longtemps, les seules initiales MYCP ont été pour les clubs français et étrangers celles du Modèle Yacht Club de Paris, le plus vieux club enregistré après celui de Bordeaux. Pendant plus d’un siècle, ses activités ont toujours été dirigées vers le développement du modélisme naval en France et à l’étranger. Tous les clubs actuels lui sont un peu redevables : son dynamisme et sa volonté d’aller de l’avant doivent continuer à nous servir de modèle.
Votre serviteur, président, Jean-Pierre Cusset, secrétaire, et Raphaël Havranek, trésorier, vont prendre en charge la destinée du MYCP et essayer d’être dignes d’un tel héritage.
Serge DUCRUIT